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Cela fait plus de huit ans que je travaille aux côtés des communautés de petits pêcheurs dans le nord-ouest de Madagascar. Dans cette partie de l’île, les ressources marines, comme dans tant d’endroits ailleurs, s’épuisent à cause de la surpêche, de la pêche destructive et du changement climatique. De plus, la deuxième plus grande forêt de mangrove du pays est menacée par la déforestation due à l’exploitation illégale pour le charbon de bois et le bois de construction. 

J’ai aidé les communautés à se réunir et à se mettre d’accord sur la manière dont elles aimeraient gérer collectivement leurs ressources naturelles, et éviter de surexploiter les mangroves pour un profit à court-terme.

Aux côtés des petits pêcheurs de la baie de Tsimipaika, où de nombreuses communautés vivent au milieu des mangroves, j’ai été chargé du soutien aux associations communautaires pendant plusieurs années. J’ai aidé les communautés à se réunir et à se mettre d’accord sur la manière dont elles aimeraient gérer collectivement leurs ressources naturelles, et éviter de surexploiter les mangroves pour un profit à court-terme. Les points sur lesquels tout le monde s’est mis d’accord ont été formalisés dans des Dina – les lois coutumières locales qui permettent de mettre en place des mesures de gestion des ressources naturelles au niveau communautaire. 

Afin que les communautés aient l’autorité de gérer leurs ressources de mangrove de manière autonome, je les ai également aidées à demander et obtenir de l’État malgache le droit légal de le faire. Les droits de gestion de 6 154 hectares de mangroves ont ainsi été transféré avec succès par le Ministère de l’Environnement à 11 (bientôt 12 !) associations communautaires. Aujourd’hui, ces associations gèrent directement leurs mangroves, divisées en zones de réserve permanente (où aucun arbre ne peut être coupé), en zones d’utilisation durable (où une quantité limitée de mangrove peut être coupée) et en zones de reforestation (où la forêt doit être reboisée).

Ces transferts de gestion, qui relèvent de la loi nationale, et les Dina sont deux outils essentiels pour permettre aux petits pêcheurs de sécuriser leurs mangroves et leurs pêcheries et de les gérer de manière durable.

Depuis un an, je suis désormais Responsable régional adjoint de Blue Ventures pour le nord-ouest de Madagascar. A ce titre, je suis notamment chargé du soutien à la gouvernance communautaire dans la baie de Tsimipaika mais aussi dans la baie de Mahajamba, à plus de 700 km de là, où les petits pêcheurs de 14 villages se sont récemment regroupés en 7 associations formalisées. Blue Ventures les soutient depuis 2018 afin de développer des techniques de gestion des ressources durables et locales, adaptées à leurs besoins et au contexte local.

Développer des modèles et des bonnes pratiques avec les communautés, puis en discuter, les adapter et les reproduire avec d’autres communautés, c’est ce qui donne un sens à notre action et c’est la clé de notre impact.

J’ai beaucoup appris au cours de mon travail avec les communautés de la baie de Tsimipaika et je peux maintenant utiliser ces connaissances pratiques, en les adaptant avec les petits pêcheurs de la baie de Mahajamba. Développer des modèles et des bonnes pratiques avec les communautés, puis en discuter, les adapter et les reproduire avec d’autres communautés, c’est ce qui donne un sens à notre action et c’est la clé de notre impact.

Je voudrais vous raconter ici comment j’ai utilisé les leçons que j’ai apprises avec les communautés de la baie de Tsimipaika pour aider les communautés de la baie de Mahajamba à développer une gouvernance communautaire en collaboration avec les autorités, qui sont des alliés clés dans le processus.

Ma dernière visite dans la Baie de Mahajamba date de septembre et octobre dernier. Appuyer les communautés dans les villages et dans les mangroves, échanger avec les pêcheurs lors de réunions formelles ou de discussions impromptues à l’ombre d’un arbre, c’est le cœur de mon métier et ce que je préfère. 

plus tôt on entame des échanges directs avec chaque autorité concernée, meilleure est la compréhension réciproque, ce qui ouvre de meilleures possibilités de collaboration et d’appui par la suite.

Pourtant, je ne suis pas allé directement dans la baie. J’ai commencé ma mission par une série de visites aux autorités dans la capitale régionale, Mahajanga. Bien sûr, travailler en lien avec les autorités en charge de la pêche, de l’environnement ou du District est primordial pour assurer une cohérence locale et une durabilité. Mais l’une des leçons que j’ai apprises avec les communautés de la baie de Tsimipaika, c’est que le timing compte beaucoup aussi : plus tôt on entame des échanges directs avec chaque autorité concernée, meilleure est la compréhension réciproque, ce qui ouvre de meilleures possibilités de collaboration et d’appui par la suite.

Dans la baie de Tsimipaika, le processus de transfert de gestion des mangroves aux associations communautaires, qui inclut l’élaboration et la validation d’un Plan d’aménagement et de gestion avec la délimitation des zones de conservation, d’usage local et de reboisement, avait été long et complexe. Face aux difficultés administratives rencontrées sur une période de trois ans, nous avions fini par proposer une convention avec l’autorité de tutelle pour ce transfert, la Direction Régionale de l’Environnement et du Développement Durable (DREDD), afin qu’ils approuvent le principe et qu’ils soutiennent les communautés dans ce processus de transfert. 

Nous avons tiré les leçons de cette expérience à Tsimipaika. Lorsque les communautés de la baie de Mahajamba ont décidé d’entamer les démarches pour obtenir un transfert de gestion de leur zone de mangroves, nous leur avons aussitôt proposé d’établir une convention avec la DREDD, afin de poser dès le départ des bases solides pour appuyer le processus. J’ai rendu visite à la DREDD à Mahajanga afin de préparer cette convention, et d’organiser aussi la venue de représentants de la DREDD dans 4 villages de la baie. Ces visites permettent aux communautés d’avoir des discussions ouvertes avec les autorités, d’obtenir des réponses à leurs questions et de démontrer leur engagement en faveur de la gestion durable des ressources. 

C’est formidable de voir les associations communautaires aussi motivées et engagées, a sourit Fenomanana Jasmin Velontsoa, l’un des représentants de la DREDD, à l’issue de sa visite. Cela donne confiance sur la qualité de leur gestion future. »

Une fois que les règles de gestion des pêcheries et des mangroves sont adoptées par les membres de la communauté, il est essentiel qu’ils puissent assurer leur mise en application. Durant mon passage dans la capitale régionale, je me suis également rendu au Centre de surveillance des pêches (CSP), qui assure l’application des lois sur la pêche sous l’autorité du ministère compétent. L’expérience nous a montré que lorsque nous travaillons avec le CSP dès le début, cela facilite la formation des agents de surveillance communautaire, ce qui permet ensuite au CSP et aux communautés d’effectuer des patrouilles de surveillance en collaboration. Par exemple, la patrouille communautaire interpelle un pêcheur qui pratique une pêche destructive interdite par le Dina, la loi coutumière locale, et la patrouille du CSP fait la saisie des engins de pêche destructifs contraires à la loi. Dans un contexte où l’application de la loi est un immense enjeu, et où les agents de surveillance communautaires ont souvent peur de faire des patrouilles faute d’appui des autres autorités, une telle collaboration sur le terrain est vitale.

Les patrouilles de surveillance communautaire sont essentielles pour bannir les pratiques destructives de pêche et assurer une pêche durable à l’ensemble des communautés côtières | Photo: Garth Cripps

Si vous avez besoin de notre aide et de notre appui, notre porte vous sera toujours ouverte.” 

Ces mots du Chef District de Mahajanga, témoignage des liens de confiance que nous avons peu à peu établis, ont offert une magnifique conclusion à la dernière visite que j’avais prévue à Mahajanga. L’avis favorable des autorités administratives du District est vital (et obligatoire) pour l’homologation du Dina. Par la suite, le District peut mettre en place des arrêtés qui font écho et renforcent les interdits édictés par la loi coutumière. C’est sûr, les communautés de la baie de Mahajamba ont un allié de poids à leurs côtés !

Cela s’est vérifié concrètement. Dans le village d’Andranoboka, alors qu’ils menaient des actions de sensibilisation sur l’importance de respecter la loi et les arrêtés sur la pêche, des représentants du District, alertés par l’association de pêcheurs, ont constaté par eux-mêmes des activités de pêche illégales. Les représentants du District ont alors insisté auprès du maire pour qu’il sorte un arrêté communal sur la nécessité de respecter les fermetures de pêche, de se conformer au système de cartes de pêche que tous les pêcheurs de Madagascar doivent avoir, et de respecter la taille minimale obligatoire des filets de pêche pour éviter de capturer des juvéniles. Tous ces éléments feront aussi partie du Dina en cours d’élaboration par les associations de pêcheurs, pour assurer une gestion durable de leurs ressources marines.

L’arrêté communal est sorti quelques semaines plus tard. Depuis, le maire, chaque jour de marché, profite de l’affluence pour rappeler à tous, pêcheurs locaux et pêcheurs venus d’ailleurs sur les côtes, le respect dû à la loi. 

Bien sûr, un tel travail de collaboration avec chaque autorité concernée (DREDD, CSP, district, maire) réclame du temps, de l’écoute et une capacité d’adaptation. Mais cela en vaut la peine, car on prépare ainsi le terrain pour une gestion locale durable, légitime et reconnue des ressources marines par les associations communautaires de pêcheurs. 

C’est la survie de leurs écosystèmes, et donc leur propre survie, qui sont en jeu.


Découvrez la deuxième partie de l’histoire de Zo sur la mise en place d’une gouvernance communautaire dans la baie de Mahajamba


 

Posted by Zo Andriamahenina

Zo Andriamahenina is Deputy Regional Manager for northwest Madagascar. He spends much of his time in the field working with communities and discussing ways to support them in building community governance.

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