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A Madagascar, 500 000 personnes dépendent de la pêche pour leur survie : les produits de la pêche sont leur principale source de protéines animales et, bien souvent, leur unique source de revenus.

Alors que les ressources marines diminuent fortement sous les effets du changement climatique et de la surpêche, 14 villages de pêcheurs de la baie de Mahajamba, au nord-ouest de Madagascar, se sont engagés dans un processus de gestion durable des ressources naturelles marines et côtières. Mon rôle, en tant que Coordinateur technique Pêche, est de les appuyer dans ce processus.

Mais dans un site aussi isolé que la baie de Mahajamba

Mais dans un site aussi isolé que la baie de Mahajamba, les communautés de pêcheurs font encore face à un défi supplémentaire : ils ne sont jamais certains de pouvoir vendre leurs produits, car il est difficile pour les collecteurs d’aller jusqu’à la baie pour acheter les poissons fraîchement pêchés puis de retourner les vendre dans les villes. Durant la saison des pluies, de novembre à mars, c’est même quasi mission impossible : les routes sont coupées, et les transports en mer sont limités en raison des tempêtes et des cyclones. Or la saison des pluies est le moment où les prises sont les plus abondantes.

Dans ce contexte, il est absolument vital que les communautés de pêcheurs puissent compter sur des techniques de transformation et de conservation des produits de la mer. Sans cela, les pêcheurs de la Baie voient, impuissants, le produit précieux de leur pêche se gâter avant d’avoir pu être consommé ou vendu. Cela signifie beaucoup d’efforts de pêche pour rien, une pression inutile sur les ressources naturelles, et pas assez de nourriture ni de revenus pour les familles.

Pour conserver leurs poissons, les pêcheurs d’ici utilisent depuis des générations la technique traditionnelle du « braisage ». Malheureusement, cette technique n’est pas une solution durable : elle implique une grande consommation de bois ; elle réclame d’y consacrer beaucoup de temps ; elle s’accompagne aujourd’hui d’arrosage de pesticides qui peuvent avoir de graves conséquences sur la santé des consommateurs et sur l’environnement ; et enfin, la proportion de poissons mal conservés et impropres à la vente (ce qu’on appelle les pertes post-captures) reste importante.

En mai 2018, une étude sur le parcours des poissons de la Baie, depuis les bateaux de pêcheurs jusqu’aux marchés, menée avec les communautés par Blue Ventures et un consultant externe a chiffré à 14% ces pertes post-captures. Cela représente un gâchis terrible alors même que l’état des stocks des produits halieutiques est déjà inquiétant et que la demande en poisson ne cesse d’augmenter.

Ces pertes post-captures sont un souci constant des communautés vulnérables de la baie de Mahajamba. Certains pêcheurs comme M. Rabenoely, qui a appliqué pendant longtemps la technique traditionnelle de braisage accompagnée d’arrosage de pesticides, commencent aussi à s’inquiéter des conséquences de telles pratiques sur la santé des gens et de la nature. Les communautés ont un besoin vital de techniques améliorées durables de transformation et conservation du poisson, telles que fumage, séchage et salage.

C’est pour cette raison qu’en septembre 2019, je suis parti au Ghana pour participer à un atelier international organisé par la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) sur la technique FAO-Thiaroye de Transformation du poisson (FTT)  – une technique améliorée de fumage de poisson.

Le fumage consiste à soumettre des poissons à l’action de la fumée provenant de la combustion de bois. Ce moyen de conservation et de cuisson (qui élimine de nombreux parasites), appelé plus exactement « fumage à chaud », est connu depuis la Préhistoire.

Le fumage consiste à soumettre des poissons à l’action de la fumée provenant de la combustion de bois. Ce moyen de conservation et de cuisson (qui élimine de nombreux parasites), appelé plus exactement ‘fumage à chaud’, est connu depuis la Préhistoire. La technique de fumage à chaud FTT est une technique dite ‘améliorée’, mais le principe de base est le même.

Outre son efficacité en termes de conservation, qui rend les pesticides inutiles et réduit fortement les pertes post-captures, la technique améliorée de fumage à chaud a l’avantage de consommer deux fois moins de bois mort combustible que les méthodes traditionnelles. Bien entendu, dans tous les cas, les communautés qui adoptent le fumage à chaud comme technique de préservation doivent s’efforcer d’identifier des sources de bois durables qui respectent les réglementations locales. Par exemple, à Madagascar, il est illégal de couper du bois de mangrove. Dans la zone d’intervention de Blue Ventures, le fumage se fait avec du bois mort, et Blue Ventures soutient les associations communautaires gestionnaires de la mangrove dans leurs efforts pour éviter les coupes illégales (par exemple, via le renforcement des patrouilles de surveillance communautaires, et via plantation de sources alternatives de bois). 

Pour tirer parti au mieux des enseignements de l’atelier de la FAO et de l’étude que nous avons réalisée dans la baie de Mahajamba, nous avons réfléchi et discuté avec les communautés, et avec des groupes spécifiques au sein de ces communautés, notamment les femmes, qui jouent un rôle clé dans la conservation, la transformation et la vente des produits de la pêche. Ensemble, nous avons analysé les données que nous avions collectées sur les pertes post captures, en particulier pendant la saison de pluie. Puis nous avons discuté des trois principaux avantages du fumage à chaud : réduction des pertes post captures ; moins de bois nécessaire que la méthode traditionnelle, ce qui réduit les coûts et le temps de collecte ; et enfin, maintien de la qualité.

Mais surtout, pour s’assurer ensemble que la technique de fumage à chaud soit adaptée aux besoins des pêcheurs et adoptée de façon durable, nous avons encouragé les pêcheurs et les collecteurs de la baie de Mahajamba à tester la technique par eux-mêmes, afin que chacun puisse en constater les avantages et donner son avis sur des adaptations pertinentes au niveau local.

La technique a été introduite en décembre 2019 dans la baie de Mahajamba. 26 pêcheurs ont été formés à la technique de fumage. Comme toujours, la disponibilité, l’engagement et la motivation ont varié selon les villages, et je me suis assuré d’observer les réactions de chacun avec attention.

Tous ont vite constaté qu’avec cette technique, les poissons fumés peuvent être stockés pendant au moins 3 semaines

Tous ont vite constaté qu’avec cette technique, les poissons fumés peuvent être stockés pendant au moins 3 semaines, et même être re-fumés si besoin pour une semaine supplémentaire, sans altérer la qualité des produits. 

Dans le village d’Ambodimadiro, M. Ifalia et sa famille, comme la plupart des ménages de pêcheurs, étaient habitués à produire et consommer des poissons braisés. Durant une démonstration de fumage avec les autres pêcheurs du village, il a d’abord remarqué, avec son épouse et même leurs jeunes enfants, que le goût des poissons fumés, consommables tout de suite après le fumage, était très différent de celui des poissons braisés. Le lendemain, M. Ifalia a rapporté un lot de poissons pour confirmer cette différence du goût… et en a conclu que le poisson fumé était plus appétissant. Lors de la démonstration technique, M. Ifalia et son épouse ont aussi noté que le fumage ne nécessitait pas une surveillance de près, ce qui permettait de s’occuper d’autres tâches en même temps.

Un pêcheur que je connais bien, Edesy, qui est toujours curieux de tester des nouvelles solutions, a assisté à plusieurs réunions sur la conservation du poisson, dans différents villages. A chaque réunion, il a rappelé leur frustration collective de voir les poissons perdus et irrécupérables durant la saison de pluie. Bien décidé à convaincre les gens de s’investir dans la technique de transformation, il témoignait de son projet d’acheter un fût et de confectionner par lui-même un fumoir.

Je ferai tout pour rendre ma famille heureuse », concluait-il à chaque fois.

Environ six mois après l’initiation et la distribution de neuf fumoirs auprès des familles de pêcheurs, plusieurs d’entre elles ont commencé à emporter les fumoirs dans leur campement de pêche, pour éviter de faire le trajet vers le village à chaque fois. Un signe clair que la technique est en voie d’adoption.

« Si j’avais connu cette technique avant, j’aurais déjà installé plusieurs fumoirs dans mes campements de pêche, et j’aurais peut-être beaucoup de clients à Majunga et à Tanà ! La qualité du produit est exceptionnelle, que ce soit la texture de la chair ou le goût », s’enthousiasme M. Felix, membre de l’association des pêcheurs du village d’Antafiamorango, lors d’une réunion communautaire. Sous le hangar qui abrite la réunion, au bord du chenal, il envisage déjà de booster son plan marketing et d’élargir son circuit de commerce.

Je vais pouvoir dépenser moins et mieux subvenir aux besoins de mes enfants », souriait M. Rabenoely à l’issue d’une démonstration de la technique de fumage de poisson dans son village, Antangena. 

Convaincu par cette technique qui lui évite la corvée de ramasser une grande quantité de bois sec en saison des pluies pour braiser le poisson et de se déplacer pour aller acheter des pesticides néfastes pour la santé, M. Rabenoely a adapté au fur et à mesure sa technique de fumage du poisson, pour trouver le meilleur moyen de satisfaire les consommateurs locaux, régionaux et nationaux, sans heurter leurs habitudes. En effet, l’appréciation des consommateurs est un autre élément essentiel de l’équation.

En mars 2020, une campagne de sensibilisation a été menée dans la municipalité d’Andranoboka, une des zones où Blue Ventures intervient. Un jeudi, jour de marché, nous avons organisé une dégustation de poisson fumé pour recueillir les avis des consommateurs sur la texture et la saveur. La plupart des gens ont trouvé que le poisson avait bon goût, et ont déclaré qu’ils envisageraient de l’acheter régulièrement.

Du côté des pêcheurs et des collecteurs, une demande a émergé massivement : être formés non seulement à la technique du fumage, mais aussi à la fabrication des fumoirs, pour gagner en autonomie et ne pas dépendre de la disponibilité du fabricant.

Suite à l’adoption progressive de la technique par les communautés, nous avons élaboré une fiche technique pour partager l’état de nos apprentissages sur la fabrication du fumoir, le processus de fumage, et la vente et la consommation du poisson fumé. 

Ailleurs sur la côte de Madagascar, mais aussi aux Comores, des associations communautaires de pêcheurs ont fait connaître leur intérêt pour la technique. Dans quelques semaines, j’aurai l’occasion d’animer une première formation complète sur le fumage à chaud ainsi sur la technique de fabrication des fumoirs auprès des pêcheurs de la baie de Mahajamba. Des membres de Vezo Miray Nosy Barren, l’association co-gestionnaire de l’aire marine protégée des îles Barren (à environ 400 km au sud), se sont dits prêts à faire le voyage dès qu’ils pourront afin de suivre eux aussi la formation. En attendant, les pêcheurs de la baie de Mahajamba vont réaliser et leur envoyer un tutoriel vidéo.

Dans le contexte de la pandémie COVID-19, qui a notamment eu pour effet de restreindre encore l’accès des pêcheurs aux marchés pour écouler leurs produits, la conservation des poissons par le fumage à chaud répond à un besoin encore plus pressant. Des dizaines de milliers de petits pêcheurs à Madagascar, et bien plus à travers le monde, peuvent trouver dans de telles techniques améliorées des moyens vitaux de renforcer leur résilience.


Découvrez notre fiche technique sur le fumage à chaud comme technique de conservation du poisson.


*Toutes les photos de ce blog ont été prises avant la COVID-19 et avant que des mesures de distanciation sociale ne soient mises en place à Madagascar

 

Posted by Joelson Anjaranirina Rakotoson

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