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Au cours des dix dernières années, le nombre de pêcheurs dans la baie de Tsimipaika, au nord-ouest de Madagascar, a rapidement augmenté en raison d’une forte immigration en provenance de régions du pays moins productives en matière de pêche. Mais cela a un coût : les mangroves sont défrichées pour la production de charbon de bois, et les stocks de crabes, de crevettes et de maquereaux diminuent.
En 2018, les communautés de Tsimipaika ont adopté ensemble un plan de gestion de la pêche pour protéger leurs écosystèmes et préserver leurs moyens de subsistance. Elles ont ainsi concentré leurs efforts sur les fermetures temporaires et les réserves permanentes de pêche, la protection et la restauration des mangroves, et le respect de la taille minimale de capture des crabes.
Au centre de la baie, dans le village d’Ambolikapiky, Madame Véronique et Franklin Velotody ont rejoint l’association locale de gestion communautaire, connue sous le nom de Vondron’Olona Ifotony (VOI) Miezaka, qui signifie « essayer ». Ils nous expliquent quelles solutions locales ont été mises en place pour la survie de leurs écosystèmes marins – et donc celle de leur communauté.
« Je m’appelle Franklin Velotody. Je suis pêcheur de crabes et membre du VOI Miezaka. Pour préserver notre stock de crabes, il y a une taille minimum de capture. A Ambolikapiky, le VOI et les patrouilles de surveillance communautaires ont informé tout le village, et désormais, ils sont très stricts sur l’application de notre dina [loi coutumière]. La plupart des pêcheurs ont arrêté de pêcher les crabes de moins de 11 cm – je le vois, car je suis aussi collecteur de données.
En tant que pêcheur, j’utilise le garigary [balance à crabes] maintenant. C’est un engin durable de pêche qui permet d’attraper facilement des crabes de plus de 12 cm, de bonne qualité. J’ai appris comment fabriquer et utiliser le garigary avec des pêcheurs qui l’utilisaient déjà, et ensuite, j’ai formé d’autres pêcheurs dans mon village à son utilisation.
Ambolikapiky est l’un des quatre villages de la baie à avoir mis en place une réserve permanente de crabes, où les crabes peuvent se reproduire et devenir plus nombreux. Cela augmente nos chances de pêcher plus de crabes à côté ! La difficulté, c’est que parfois des pêcheurs d’autres villages viennent encore pêcher ici. Il faut que nous continuions à sensibiliser les gens sur l’emplacement et le rôle de la réserve permanente.
Les pêcheurs de notre village respectent bien les fermetures temporaires de pêche du mahaloky [maquereau]. Ils savent que ces fermetures de quatre mois permettent la régénération de l’espèce et que, quand la pêche est ouverte, ils peuvent pêcher plus de poissons. Pendant les fermetures, ils peuvent toujours pêcher des crevettes de mer et d’eau douce et des poissons du côté des mangroves.
Des groupes d’épargne communautaire ont aussi été mis en place. Pendant les périodes de fermeture de pêche, nous pouvons emprunter dans notre caisse. Quand la pêche est ouverte, nous remboursons. Nous arrivons aussi à mettre de l’argent de côté grâce à ces groupes.
Le VOI a également sensibilisé le village sur l’importance de la reforestation et de la restauration des mangroves. On constate déjà le résultat : ça pousse bien ! Presque toutes les zones déforestées à cause de l’exploitation illégale pour le bois et le charbon sont restaurées. Maintenant que les mangroves repoussent, j’espère que le stock de crabes va revenir au niveau d’avant, et pareil pour les crevettes.
Avec le garigary, les réserves permanentes, les fermetures de crabe et surtout les patrouilles de surveillance du VOI, les choses ont vraiment changé. Avant, je n’arrivais à pêcher que trois crabes par jour. Maintenant, j’en pêche sept, tous gros ! »
« Je m’appelle Véronique. Je tiens une gargotte [petit restaurant de rue] à Ambolikapiky et je cultive du riz. Je suis aussi impliquée au sein du VOI Miezaka. En 2019, en collaboration avec le VOI voisin d’Ampanakana, nous avons attrapé un mareyeur qui collectait des crabes pendant la période de fermeture. Nous avons informé le Service des Pêches qui est venu sur place et nous a encouragés à appliquer le dina. Les crabes saisis ont été libérés dans la mangrove. C’était une grande réussite pour nous : aux yeux de toute la communauté, cela a montré que les VOI travaillent ensemble et que le Service des Pêches nous appuie.
Honnêtement, il y a encore des pêcheurs qui ne respectent pas la taille minimum de capture du crabe. Dès qu’on fait moins de contrôles, certains pêcheurs prennent des petits crabes car un collecteur à Ambanja les achète encore. Mais grâce au garigary, les choses sont en train de changer. Au lieu de marcher dans la mangrove pendant des heures pour attraper des crabes de toutes tailles, les pêcheurs prennent leur pirogue pour installer et récupérer les garigary, et attrapent seulement des gros crabes de bonne qualité, pour un meilleur prix de vente, et moins d’effort et de temps.
Ambolikapiky et trois autres villages de la baie ont déjà mis en place une réserve permanente de crabe afin de préserver l’espèce. Mais les agents patrouilleurs ne sont pas assez nombreux pour pouvoir assurer des patrouilles tous les jours, donc malgré nos efforts il y a encore des pêcheurs qui entrent dans la réserve pour pêcher. L’une des choses que nous devons améliorer, c’est d’augmenter le nombre des agents patrouilleurs.
Pour cela et pour beaucoup d’autres choses, notre association a besoin de moyens financiers. Mais c’est déjà difficile pour certains membres de payer leur cotisation annuelle de 2000 ariary (0,44 €). Alors nous avons informé les membres des 11 groupes d’épargnes communautaires du village sur le rôle du VOI, et maintenant ils versent une cotisation. De son côté, le VOI a élaboré un plan de travail annuel pour que les groupes d’épargne sachent comment leurs fonds sont utilisés. Cela nous aide énormément à gérer nos pêcheries !
Le VOI est plus autonome pour financer les patrouilles communautaires de surveillance – cette année, les groupes d’épargne lui ont versé 570 000 ariary (125 €) – et les pêcheurs membres des groupes d’épargnes sont sensibilisés aux pratiques durables de pêche. Cela a élargit aussi la base de soutien du VOI au sein du village, car tous les membres des groupes d’épargnes sont maintenant membres du VOI aussi.
Aujourd’hui, beaucoup de gens sont convaincus que la mangrove est un héritage à préserver, et que la reforestation va avoir un impact favorable sur la pêche et sur leurs revenus. Donc ils sont vraiment engagés dans la reforestation. L’organisation des sessions de reforestation est beaucoup plus facile depuis qu’il y a des leaders communautaires dédiés qui appuient chaque groupement volontaire du village [groupes de femmes, groupes d’épargne, écoliers…] pour définir le calendrier des sessions et préparer les propagules [graines de mangrove]. Les participants sont toujours heureux de faire le bilan de la surface qu’ils ont reboisée et du nombre de propagules qu’ils ont planté après chaque session.
Les membres du VOI ont organisé plusieurs réunions communautaires afin que chacun comprenne bien le dina sur les mangroves. Nous avons montré où se trouvent les zones de réserve permanente, les zones de reboisement et les zones pour le droit d’usage communautaire. Nous avons expliqué à chacun comment soumettre une demande de coupe pour ses besoins en bois dans les zones de droit d’usage. Ces zones nous ont beaucoup aidés, car elles garantissent que nous pouvons utiliser nos ressources naturelles pour répondre à nos besoins, comme la coupe de bois pour la construction, mais de manière durable. Lors de nos réunions, nous avons également détaillé ce qui est interdit dans chaque zone et planifié une patrouille par semaine ; bien que nous n’ayons pas encore assez de patrouilleurs, le nombre d’infractions liées à la coupe illégale a vraiment diminué !
Nous avons un club mangrove, encadré par des volontaires du village, où les enfants apprennent la valeur des mangroves et leur rôle pour la pêche. De cette façon, ils se préparent déjà à poursuivre ce que nous, les adultes, commençons à entreprendre. »
Pour en savoir plus sur la gouvernance communautaire dans le nord-ouest de Madagascar